Aussitôt dit, aussitôt fait – éloge de la promesse
La promesse et la confiance indissociables liées, et pourtant différentes. Pas besoin de promesse pour faire confiance ? Oui, mais … dans bien de cas, c’est la promesse qui permet à la confiance de s’installer, puis de grandir. Cependant, on peut se demander si nous avons besoin de faire confiance pour promettre quelque chose à l’autre, ou si c’est l’inverse qui est vrai.
Dans les cycle d’articles dédié à la promesse, nous allons explorer les différentes manières d’aborder la promesse, ainsi que les questions qui doivent être posées lorsque nous énonçons une promesse ou lorsque nous en somme récipiendaires. La notion de la promesse et de la confiance étant souvent présentées comme intimement liées, nous allons par la même occasion nous intéresser à ce qui rapproche et ce qui distingue ces deux manières de s’engager dans la relation.
D’après Derrida, la promesse « est un acte impossible, mais c’est le seul digne de ce nom ». Jean-Luc Nancy perçoit trois dimensions dès lors que je promets : l’incertitude de l’avenir, capacité de s’engager dans l’avenir imprévisible et la capacité de le rendre entièrement dépendant de moi. D’où vient la promesse ? D’après Nancy, la genèse de la promesse est historiquement « traçable ». Ses origines ne sont pas grecques, mais juives et romaines. La promesse juive, celle de la descendance d’Abraham, vient de l’alliance à laquelle je resterai fidèle. La promesse romaine, vient de l’annonce de l’empire à Enée. Elle est donc résultat d’un destin qu’il me suffit de m’approprier. Le christianisme noue les deux promesses en en faisant l’une et en liant l’engagement et l’espérance, le serment et la confiance. L’islam à son tour, se présente comme la promesse tenue, accomplie sans délai en échange de la fidélité.
L’histoire de l’Occident est sous-tendue par la dualité présente dans la promesse : l’annonce qui vaut pour elle-même (la justice comme l’annonce) et l’annonce du bien (l’annonce de la justice faite). J.L. Nancy distingue trois moments remarquables de cette ambivalence dans l’histoire : Descartes, Kant et Marx qui sont à l’origine de trois promesses faites à l’humanité entière. Ces trois promesses sont dans l’ordre : acquérir la « maitrise et possession de la nature », devenir « règne des fins » accordé sur la loi de la liberté et la dignité, parvenir à une propriété « ni privé, ni collective, mais individuelle ». Pour autant, chacune de ces promesses désigne un état à la fois possible et anticipable, et, souhaitable, mais en même temps inatteignable (un état limite ou un postulat).
Les deux questions posées par Nancy interrogent les limites de la promesse en mettant la lumière sur l’aspect éthique de la promesse : Faut-il nous laisser promettre les lendemains, des paradis ou faut –il plutôt renoncer à toute sorte de promesse ? Devons–nous apprendre une promesse qui promette ici et maintenant, avant toute échéance, la possibilité d’un sens ou de vérité ? Dans cette approche, la place de la promesse peut être éthiquement questionnée, qui plus est, elle ne semble pas inébranlable dans la mesure où le projet de vivre dans « ici et maintenant », donc sans promesse devient virtuellement possible.
Ce relativisme en matière de la promesse est contredit par Alain Boyer. Ce dernier parle de deux types de promesses. Dans l’« Epitre aux Hebreux », Dieu dans la Genèse fit à Abraham une promesse [epangelia) de « le combler des bénédictions et de lui donner une immense descendance ». Mais, comme il n’y avait pas plus grand que lui, il le jura « par lui-même ». Les hommes jurent en fait par plus grand qu’eux, et pour mettre un terme à toute contestation [antilogias], ils recourent à la garantie du sermon [horkos]. Le horkos est ajouté à epangelia pour la garantir, et pour éviter tout différend. Alors que si même Dieu utilise les deux formes de la promesse, la promesse simple d’une part et la promesse jurée « par plus grand que soi » d’autre part, le serment, c’est que ces deux formes de la promesse sont légitimes parmi les hommes.
Il existe une continuité entre Paul et Tora qui condamne avec force le parjure : la faute qui présuppose l’existence de la promesse, voire du serment. Boyer émet une conjecture que la promesse, assortie d’un sermon ou non, est commune à toutes les cultures humaines, et ceux depuis l’origine. Partout, règne la parole et le tabou de sa transgression. D’après lui, bien avant le monothéisme, ce qui unifie les hommes, c’est le respect de la parole donnée. Il nomme son hypothèse : « PSS », en hommage à un proverbe Jus romanum : Pacta sunt servanda. (les pactes doivent être observés). Les Romains associèrent à ce principe si important la vertu : la Fides. Ce mot a donné en français : fidèle, foi, confiance (mé-ou défiance), mais aussi fiancée, fiduciaire.
A. Boyer reprendre à son compte la devise de Cicéron du « Traité des devoirs » qui donne à la Fides une étymologie suivante : « Fiat quod dictum est ! » (que soit fait ce qui est dit), pour dire qu’il s’agit là d’une définition de l’homme est d’abord l’homme de la parole. Cette définition est d’après Boyer « génétique » car elle permet non seulement de distinguer l’être humain, mais aussi de l’engendrer (nous sommes les enfants de la fides.). Même si le monde sans promesse est logiquement possible, ce que Descartes s’était promis de pratiquer, d’après Boyer, cet acte de pensée ne fait que dériver de rien d’autre que de la promesse à autrui. Boyer soutien un raisonnement suivant : X promet toujours à Y, mais on peut également dire : X=Y (promesse à soi-même). Cela va dans le sens, déjà posé par Ricoeur, que la promesse, avec la prise de conscience de trois dimensions du temps qu’elle présuppose, contribue à structurer l’homme en personne responsable de son passé et capable de limiter son action future. Respecter la promesse que l’on s’est faite représente ainsi une forme accomplie d’autonomie. La promesse présuppose une relation entre le promettant et le récipiendaire, mais dans la promesse à moi-même, je suis les deux à la fois.
Il en résulte que la société sans aucun engagement explicite (promesse) est logiquement possible, mais empiriquement et anthropologiquement improbable. Elle relève d’une utopie. En s’appuyant sur Hannah Arendt, Boyer revendique le « principe de parcimonie » en matière de la promesse. Cela veut dire que les pactes et les promesses ne devraient pas être multipliés sans nécessité, car l’usage parcimonieux de la promesse la rend plus solide. De même, il est immoral de promettre ce que l’on croit impossible à réaliser, ou même improbable.
Le principe PSS veut dire que toutes les cultures mettent en avant le caractère sacré de la promesse.
Elle s’appuie sur quatre points suivants :
1). PSS n’est pas inné. C’est une règle culturelle qui doit être apprise par l’éducation (peut-être même la « mère de toutes normes (sociales) »
2). Il est un propre de l’homme. Sans vrai équivalent chez les animaux, dont les actions collectives sont gouvernées par l’instinct.
3). La promesse est universelle dans la culture humaine (non innée, culturelle, spécifique à l’homme, à toutes les cultures). Elle correspond à l’idée aristotélicienne de « différence spécifique », elle est fondatrice de toutes les formes institutionnelles « depuis la fondation du monde ». D’après Boyer ; le PSS serait un invariant culturel absolu.
4). Grâce à Hobbes, à Rousseau et Hume, on peut avancer une thèse que l’incitation à analyser la promesse a émergé avec une prise de conscience que les hommes pouvaient planifier des actions collectives complexes, sans en avoir les bases dans leur programme génétique, ce qui fut possible grâce au langage.
Il n’en reste pas moins que toute communauté qui institutionnalise la promesse sait qu’il y-a de l’infériorité, du caché possible. Cette 4e thèse revient à dire, d’après Hume, que c’est du fait de la logique de l’action collective que la promesse a émergé par un mécanisme de pression sélective. Les cultures qui l’ont adopté avaient de meilleures chances de survie. A. Boyer cite ainsi Kant et sa conviction que c’est la discipline qui a transformé l’animal en homme, la discipline acceptée de la promesse. Boyer conclue son raisonnement par un appel à ne pas galvauder la promesse, un fondement éthique de notre vivre en commun (« ne galvaudons pas pour autant la promesse, et gardons-en la discipline, sinon l’humanité est perdue, du fait même de la taille excessive de nos sociétés. ») et « Ne rêvons plus d’un grand soir, mais sachons poursuivre nos idéaux réalistes de justice et de liberté sans naïveté, dans la conscience de la nécessité de la PSS ».
Le statut de la promesse se trouve ainsi érigé en principe fondateur et irréductible de la société humaine depuis ses origines.
Pour rester en accord avec ce constat, honorons la promesse faite mais en même temps n’en abusons pas !
C’est un premier article du cycle : L’Ethique de la confiance, qui sera poursuivi tout au long de mon travail de thèse doctorale.